Le retour du serif n’a rien d’une nostalgie typographique. Il n’est pas l’expression d’un attachement sentimental aux caractères d’édition, ni la simple réactivation d’un héritage classique. S’il revient aujourd’hui dans autant d’identités visuelles, c’est parce qu’il répond à un besoin contemporain : remettre du relief, de la texture, de la singularité dans un paysage saturé de sans-serifs neutres. Le serif ne revient pas pour restaurer une tradition ; il revient parce que sa présence fait émerger une autre manière de parler aux yeux.
La plupart des sérifs adoptés en 2025–2026 ne sont pas des sérifs dociles. Ils s’écartent des proportions conventionnelles, déplacent les contrastes, étirent les contreformes. Certains épaississent brutalement leurs empattements. D’autres jouent avec des irrégularités qui semblent presque sculptées à la main. On y sent moins la référence à la typographie historique qu’une volonté de produire une voix visuelle unique, une sorte de signature. Le serif devient une matière, pas un style. Il affirme la personnalité d’une marque exactement là où le sans-serif devenait trop propre, trop attendu, trop anonyme.
Cette mutation s’accompagne d’un phénomène parallèle : le serif n’est plus lié à une ambiance “éditoriale” ou “littéraire”. Il apparaît dans la beauté, dans la mode, dans le luxe, mais aussi dans la tech et les services. Il sert autant à évoquer la sophistication qu’à signaler une forme d’exigence ou de sensibilité. Le serif contemporain s’extrait de ses anciennes fonctions pour devenir un outil de narration. Ce n’est plus un marqueur culturel figé, mais une manière de densifier un discours visuel qui, autrement, risquerait d’être trop lisse.

L’un des glissements les plus intéressants tient à son rapport à la matière. Beaucoup de sérifs récents sont granuleux, légèrement texturés, parfois volontairement imparfaits. Ils introduisent un frottement, une respiration, une sensation de présence tactile dans des environnements qui, au contraire, deviennent de plus en plus algorithmiques. On y lit une tentative de réintroduire du “vrai”, ou au moins du sensible, dans un contexte où la pureté digitale étouffe tout. Le serif, avec ses pleins et déliés, redevient une manière d’indiquer que l’image n’est pas un flux, mais un geste.
Le serif n’est donc pas en train de refaire surface : il se reconfigure. Il ne revient pas à son point d’origine, il s’invente ailleurs. Il s’éloigne du classicisme, quitte la neutralité, s’aventure vers des formes hybrides qui empruntent autant au dessin de caractère qu’à la sculpture, à la calligraphie, au grain ou même à la logique modulable du numérique. On voit ainsi apparaître des sérifs semi-serifs, des sérifs dont les empattements semblent liquides, d’autres presque cassés, d’autres encore qui évoquent des fragments d’outils ou des pierres gravées.
Ce n’est pas le retour du serif : c’est son dédoublement. Le serpent ne remonte pas sur l’arbre, il mue. Les designers ne réhabilitent pas une tradition ; ils la déploient, l’étirent, la fissurent, l’ouvrent à des comportements qu’elle n’avait jamais assumés. Le serif de 2026 n’a pas pour mission d’être rassurant. Il cherche à être distinctif, vivant, texturé. S’il refait surface partout, c’est parce qu’il incarne exactement ce qui manque à des identités trop lustrées : une manière d’exister en dehors de la perfection.
Le serif revient parce que le monde visuel est à nouveau prêt à accueillir des formes qui dévient légèrement des règles. Pas pour célébrer hier, mais pour inventer demain.



