Design graphique, surenchère visuelle et stratégies de discrétion
À l’heure où tout le monde communique, où chaque contenu veut capturer l’attention, la visibilité semble être une injonction. Mais dans ce tumulte graphique permanent, faut-il vraiment se montrer pour compter ? Entre branding d’impact et graphisme silencieux, ce débat interroge la place du design dans l’écosystème saturé des images contemporaines.
Voir ou être vu ?
Longtemps, on a mesuré la puissance d’une marque, d’une campagne ou d’un designer à sa visibilité. Être dans l’espace public, dominer l’affichage, s’imposer par l’image. Mais aujourd’hui, ce modèle se fissure.
La visibilité est partout — et elle fatigue. Elle devient bruit de fond, stratégie de saturation, pression constante. Le design graphique, pris dans cet écosystème, se retrouve souvent réduit à un rôle d’habillage : “rendre visible” à tout prix.
Mais faut-il encore être visible pour exister, quand l’attention est devenue ressource rare et que l’excès visuel produit de l’indifférence ?
La fin du spectaculaire ?
On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un graphisme discret, voire soustractif. Des identités visuelles qui misent sur l’économie de moyens, des mises en page réduites à l’essentiel, des projets qui revendiquent le blanc, le silence, le vide.
Ce que certains appellent le “graphisme de la marge” devient une posture : ne plus jouer le jeu de l’ultra-présence. Refuser d’être un signal parmi d’autres. Revendiquer la lisibilité, le rythme, la pause.
Des studios comme Spassky Fischer, Our Polite Society, Julie Peeters ou encore OK-RM ont fait de cette économie formelle un langage en soi. Une résistance ? Une élégance ? Une stratégie ? Peut-être les trois.
Le branding globalisé comme mur de bruit
À l’inverse, le branding d’impact — porté par les grandes agences, les plateformes numériques, les marques mondiales — continue de miser sur des codes puissants : typographie extrême, contraste fort, palettes vibrantes, systèmes modulaires omniprésents.
Ces dispositifs sont pensés pour se dupliquer, occuper l’espace, imposer un rythme visuel algorithmique. Ils sont optimisés pour le flux, la reconnaissance, la “part de voix”.
Mais dans ce contexte, la différence graphique s’estompe. Les marques finissent par se ressembler. La répétition devient fatigue. La visibilité devient invisible.
Graphisme d’aura ou graphisme de trace ?
Alors que faire ? Adopter une esthétique du retrait ? Miser sur la nuance ? Réinvestir la lenteur ? Le débat ne se résume pas à “beau” vs “bruyant”, ou “mince” vs “gras”. Il s’agit de repenser les objectifs du graphisme.
Pour qui communique-t-on ? Pour être vu ? Ou pour être lu ? Pour être liké ? Ou pour créer un rapport ? Peut-on imaginer un design qui ne cherche pas à plaire, mais à exister autrement ?
Ce débat traverse les pratiques, les générations, les contextes. Il ne s’agit pas de trancher, mais d’interroger.