Une esthétique du vivant recomposé
Dévoilé à l’occasion du salon Texworld Apparel Sourcing Paris, du 10 au 12 février au Parc des Expositions de Paris-Le-Bourget, le cahier de tendances de la saison Printemps-Été 2026 ouvre de nouveaux univers créatifs où l’émotion tente de reprendre la main sur la matière pure. Baptisé Néocène, le nouveau voyage prospectif proposé par Louis Gérin et Grégory Lamaud, les directeurs artistiques de Texworld Apparel Sourcing Paris explore un monde en profonde mutation.
Longtemps cantonnées à la mode, les tendances de l’industrie textile offrent aujourd’hui aux designers graphiques une source précieuse de récits visuels, de matières narratives et de palettes émotionnelles, capables de nourrir une création en prise directe avec les imaginaires contemporains
Texworld Apparel Sourcing Paris n’a pas simplement présenté un cahier de tendances pour la saison printemps-été 2026. Avec Néocène, la direction artistique de Louis Gérin et Grégory Lamaud a proposé une véritable cosmogonie visuelle. Une tentative de redéfinir nos manières de penser la forme, la couleur, la matière et l’image dans un monde où les repères s’effacent, où les équilibres se déplacent, et où les récits visuels tentent de survivre à la vitesse de leur propre disparition.
Néocène n’est pas une tendance. C’est un monde post-tendance. Un monde où la figure humaine s’estompe, laissant place à des forces plus vastes, plus abstraites, plus physiques. Le terme, dérivé du lexique géologique, suggère une ère nouvelle, non pas façonnée par l’humanité, mais par l’énergie, la gravité, la mémoire minérale, la croissance végétale, le hasard atomique. Il désigne un espace de création libéré des récits anthropocentrés, où l’image ne cherche plus à représenter, mais à résonner.
Ce travail prospectif, nourri de signaux faibles repérés dans les champs du design, de la scénographie, de la sociologie et de la création textile, s’organise en quatre grands axes esthétiques. Chacun de ces axes incarne un univers visuel autonome, presque narratif, où les matières, les rythmes et les couleurs dessinent des hypothèses sensibles.
Dans Quantique, tout commence par le désordre fondateur. Ce thème plonge dans une esthétique atomique, fluide, mobile, où les formes s’étendent, fondent, se déplacent entre le solide et le liquide. Le design y devient presque thermodynamique. Les matières sont chauffées, instables, comme en mutation. Les palettes sont solaires, irradiantes, traversées de caramels profonds et de tonalités épicées. Le grain est vivant, mouvant, évoquant à la fois la coulée de lave et la chaleur de la peau. On pense ici à un design pré-morphologique, un monde d’avant la forme.
Gravité, en contraste, ancre le corps. Il évoque la masse, la pression, l’interdépendance invisible. C’est un monde plus tactile, plus dense, structuré par la répétition, la pesanteur et les motifs minéraux. Les textures évoquent le sable, la pierre, le sel. On y retrouve des structures séquencées, des motifs inspirés de la physique ou du biomimétisme. La palette, ici, est trouble, naturelle, diffuse : des gris sables, des beiges aqueux, des tons siliceux. L’image y devient presque géologique, émergeant lentement d’un socle ancien. Un design de la stratification, du souvenir lent.
Avec Relativité, le cadre vacille. Les repères se désagrègent. C’est une esthétique de l’oxymore, où l’on célèbre ce qui, hier encore, était exclu : l’inerte, le figé, le brouillé, le végétal mort. Ce thème évoque des plantes fossilisées, des broderies qui seraient les archives d’un monde disparu, des empreintes comme autant de signes d’un temps aboli. Les formes sont drapées, floues, usées. Le bleu s’y fait dense, le violet devient cendre, les noirs sont plus intimes que menaçants. Relativité donne à voir un graphisme du résidu, un design comme palimpseste.
Enfin, Magnétisme propose une bascule vers la lumière. Ce n’est pas un retour au décoratif, mais une forme d’élévation fragile. Les matières y sont légères, presque translucides. Le motif floral est réintroduit, mais dans une version éthérée, flottante. Les lignes sont amples, confortables, arrondies. L’univers est pastel, entre guimauve, rose chair et pêche d’été. Ici, le graphisme n’exprime plus l’histoire d’une matière ou d’un corps, mais celle d’une vibration, d’un courant. Un design de l’émotion flottante, du renouveau visuel doux, comme une brume en suspension.
Dans sa construction, le Trend Book Néocène croise avec précision l’intuition plastique et la logique d’usage. Chaque univers thématique est associé à un ensemble de matières spécifiques, ainsi qu’à trois “star colors” identifiées comme porteuses. Ces couleurs-clés sont ensuite enrichies par six nuances intermédiaires, dessinant une palette complète pour chaque famille d’objets, vêtements ou surfaces visuelles à venir. Ces couleurs, loin d’être neutres, portent des noms-signatures : “Gluton magmatique”, “Aurore désespérée”, “Souffle examiné”, “Mousse filtrante”, “Guimauve narcissique”… Des intitulés qui tiennent autant de la poésie que de la cartographie émotionnelle.
Ce que propose Texworld avec Néocène, ce n’est pas une simple suite de planches d’inspiration, c’est un outil sensible de conception du réel. Il permet aux créateurs de mode, designers graphiques, illustrateurs, scénographes ou éditeurs de puiser dans une banque de formes moins normée, plus ouverte, plus instable — mais aussi plus juste face aux mutations du monde.
Car c’est bien cela que révèle Néocène : une tentative de faire du design, non plus une machine de représentation, mais une écologie des formes. Un espace où le grain de la matière, le rythme des couleurs, la porosité des lignes deviennent porteurs de récit, sans personnage central, sans sujet héroïque.
Le Néocène est un design du climat, de l’érosion, de l’osmose. Il est aussi, peut-être, le premier trend book qui ne parle pas de style, mais de situation.
Texworld Apparel Sourcing Paris
Cet événement réunit, deux fois par an à Paris, plus d’un millier d’exposants de l’industrie de la mode. Il offre aux acheteurs professionnels du monde entier une plateforme de sourcing avec une grande variété de produits allant des plus basiques aux plus créatifs et qualitatifs.Prochaines dates : du 15 au 17 septembre 2025, puis du 2 au 4 février 2026 au Parc des Expositions de Paris-Le Bourget dans les halls 2, 3 et 4.
