Il devrait être le socle du projet, sa direction, sa cartographie. Et pourtant, dans la réalité du terrain, le brief client se révèle souvent incomplet, flou, contradictoire. Un document censé orienter la création devient alors un objet instable, que le designer doit décoder, compléter, voire réécrire.
Pourquoi ces dérives sont-elles si fréquentes ? Et surtout, comment les créatif·ves peuvent-ils y répondre sans y laisser leur énergie – ni leur posture ?
Le brief : ou l’art de dire sans dire
Dans la chaîne de production graphique, le brief est censé fixer les bases : objectifs, cibles, contexte, contraintes, livrables. Mais trop souvent, ce cadre s’effrite dès le départ.
Prenons ce cas réel : une collectivité demande une identité visuelle « à la fois institutionnelle et moderne », « dans l’esprit des start-ups mais sérieuse », avec « du bleu… mais pas celui des banques ». Derrière ces formules contradictoires, un faisceau d’attentes implicites, mal verbalisées, parfois antagonistes.
Ces paradoxes ne sont pas uniquement le fruit de la négligence. Le client n’a pas toujours les outils pour formuler son besoin. Pire : il n’a pas toujours l’accord interne nécessaire pour le clarifier. La direction marketing veut séduire. La direction générale veut rassurer. L’élu veut plaire à tout le monde. Et le brief devient un compromis fragile, livré tel quel au designer.
Le brief comme matière première du design
Dans ces conditions, impossible de considérer le brief comme un simple point de départ. Il devient une matière de travail en soi, un objet à reconfigurer. C’est au designer de :
- poser les vraies questions : pourquoi ce projet, pour qui, pour quoi faire ?
- détecter les angles morts : y a-t-il des références interdites ? des mots tabous ? des contraintes non assumées ?
- recadrer avec tact : reformuler sans froisser, proposer sans imposer, traduire sans trahir.
Ce travail d’interprétation relève autant de la stratégie que de la création. Il fait du designer un médiateur entre langage flou et forme claire, entre intention et matérialisation.
Co-construire plutôt qu’interpréter
Face à des briefs défaillants, certain·es professionnel·les choisissent une autre voie : co-construire le brief avec le client, dès l’amont.
Cela passe par des mini-ateliers, des moodboards commentés, des questionnaires visuels, ou des entretiens de terrain. Le but : faire émerger une formulation partagée, avant même de tracer une première ligne.
Ce processus prend du temps, demande de la pédagogie, et n’est pas toujours valorisé dans le devis. Mais il permet d’éviter les non-dits, les refontes, les frustrations. Et surtout, il repositionne le design comme un acte de réflexion partagée, pas comme une simple réponse graphique.
Le brief est un objet politique
Il faut le dire sans détour : le brief est un outil de pouvoir. Il cristallise une hiérarchie : qui formule, qui décide, qui exécute. Un brief flou, c’est parfois une manière (inconsciente ou stratégique) de garder la main sans s’engager. De confier l’incertitude au créatif – tout en conservant le droit de juger a posteriori.
Face à cela, le design gagne à réaffirmer une posture : transformer le brief en outil contractuel et évolutif, qui engage les deux parties. Le considérer comme un espace de négociation éclairée, pas comme un livrable intangible.
Dessiner sans vision, c’est dessiner dans le vide
Le brief est tout sauf une formalité. C’est un révélateur : de la maturité du client, du positionnement du designer, du degré d’écoute mutuelle. S’il est bancal, c’est souvent que la relation l’est aussi.
Réhabiliter le brief, c’est défendre l’idée que le design ne commence pas avec une maquette, mais avec une compréhension partagée. C’est faire du cadre une scène de dialogue – pas une zone grise où chacun projette ce qu’il veut, au risque de l’échec.
Parce qu’un design sans boussole claire reste un bel effort… perdu en mer.