Une nouvelle typographie bretonne qui fait du territoire un espace d’écriture
La typographie est parfois considérée comme un outil fonctionnel, un instrument de lisibilité, un élément discret de la communication. Mais pour beaucoup de designers, elle est d’abord un langage culturel. Le communiqué qui annonce la sortie du Bilzig, nouvelle typographie conçue par Jeanne Saliou et finalisée par la fonderie Skritur, le rappelle avec force : une lettre n’est jamais neutre. Elle véhicule l’histoire d’un territoire, des usages linguistiques, une identité parfois fragile. Elle porte en elle la mémoire de ceux qui l’emploient.
Cette conviction structure tout le projet. Pour la créatrice, « chaque forme d’écriture est en capacité de traduire une appartenance culturelle, linguistique ou politique ». Bilzig naît précisément de cette question : peut-on établir un lien entre une lettre et son lieu de naissance ? Formée à Brest, passée par Quimper, Lorient, Paris puis Nancy, Jeanne Saliou a nourri ce caractère d’expériences successives : enseignes effacées par la mer, archives populaires, recherches linguistiques, débats sur l’identité, questionnements sur ce que signifie écrire pour un territoire.
Le caractère se présente finalement comme un voyage — un aller-retour constant entre l’histoire locale et la création typographique contemporaine.
L’un des enjeux majeurs du Bilzig est d’offrir un outil réellement adapté aux langues brittoniques, notamment le breton, mais également au gallo, au gallois, au français et, plus largement, aux langues européennes. Le caractère propose ainsi des signes spécifiques (comme le K barré ou les ligatures c’h, ch) et introduit un ensemble de fonctions rarement présentes dans les typographies généralistes. On y trouve notamment un système complet pour accompagner les mutations consonantiques du breton, un phénomène linguistique central mais souvent invisible dans les outils numériques. Ce souci d’exactitude linguistique en fait un caractère profondément ancré dans son territoire d’origine.
Plus singulier encore : Bilzig est la première typographie à intégrer des solutions dédiées à l’écriture inclusive en français et en breton. Les ligatures pensées pour le dédoublement des marques de genre témoignent d’un désir d’adapter l’outil typographique aux usages contemporains, sans dénaturer la cohérence graphique du caractère.
Cette approche fait de Bilzig un caractère conscient de son époque, soucieux de conjuguer tradition et mutations sociales.

La création a débuté à l’Atelier national de recherche typographique (ANRT), lieu où les questions liées à l’écriture, à la langue et à la politique éditoriale occupent une place centrale. Le communiqué rappelle d’ailleurs que les échanges autour du projet — parfois tardifs — ont profondément nourri la réflexion de la créatrice. Une série d’images documente ce processus : Jeanne Saliou travaillant sur les courbes du caractère, séances de travail à Morlaix avec Malou Verlomme, présentations publiques lors du Festival du livre de Carhaix. On perçoit à travers ce parcours le mélange de rigueur technique, d’observation culturelle et d’implication personnelle qui constitue souvent les meilleures typographies.
La fonderie Skritur a ensuite accompagné et finalisé le développement du caractère. Ce collectif, fondé par trois designers indépendants, travaille depuis plusieurs années à documenter et revitaliser les écritures liées aux cultures celtiques et aux particularismes graphiques régionaux. Leur rôle dépasse celui d’un simple diffuseur : Skritur se veut un projet culturel, un portail consacré aux écritures singulières, où l’on recense, interprète et fait vivre des pratiques typographiques souvent peu connues.
L’intégration du Bilzig dans ce catalogue résonne donc comme une évidence : la typographie prolonge la mission de la fonderie, qui cherche à rendre visible des patrimoines graphiques parfois marginaux.
Bilzig sortira en novembre 2025 dans quatre graisses (normal, medium, bold, black) accompagnées de leurs italiques. L’ambition est double : proposer un outil parfaitement adapté aux contextes éditoriaux exigeants, et offrir une typographie capable de soutenir de longs textes, un confort de lecture réaffirmé.
Ce caractère n’est pas un geste folklorique : c’est un outil contemporain dont la forme répond aux besoins réels d’une langue, d’une histoire et d’une communauté.

L’intérêt du projet tient finalement à ce qu’il raconte du design aujourd’hui. À l’heure où la typographie s’uniformise, où les outils numériques créent des esthétiques globalisées, Bilzig affirme qu’une lettre peut être un acte culturel. Qu’elle peut devenir un espace où se rencontrent identité, politique, mémoire, modernité. Qu’une typographie peut faire beaucoup plus qu’organiser des mots : elle peut dire d’où l’on vient.



