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vendredi 5 décembre 2025
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Une affiche haute couture pour le Montreux Jazz Festival

Le plus grand défi d’une affiche de festival consiste souvent à trouver un équilibre entre symbolique musicale, reconnaissance visuelle et fonction d’affichage. Pour la 60ᵉ édition du Montreux Jazz Festival — qui se tiendra du 3 au 18 juillet 2026 — cette affiche brise tous les cadres classiques : confiée pour la première fois à un créateur de mode, Kévin Germanier, elle devient œuvre haute couture, matériau, broderie, recyclage. Selon le communiqué du festival, l’affiche est “la première affiche brodée de l’histoire du Festival”.

Germanier — designer valaisan aujourd’hui installé à Paris — s’est illustré dans des univers très visibles : il a habillé Beyoncé, Lady Gaga, Björk, et a signé les costumes des cérémonies des Jeux Olympiques de Paris 2024 ainsi que de l’Eurovision de Bâle 2025. Pour Montreux, il détourne sa grammaire mode-spectacle vers une mémoire visuelle dense : plus de 60 000 perles et sequins ont été brodés sur une toile de velours, accompagnés de laine, de matériaux récupérés et même de morceaux de tubes électriques. Le fond noir absolu, signature historique des visuels du festival — notamment l’affiche de Jean Tinguely — est respecté, mais Germanier y insuffle une vibration luxueuse, matérielle, presque sculpturale.

Cet usage du textile, de la broderie et des matériaux recyclés place l’affiche à la croisée de plusieurs territoires : celui du spectacle visuel du luxe, celui de l’artisanat contemporain, et celui du design engagé. Germanier parle d’un “chaos organisé” lorsqu’il décrit la broderie simultanée de six personnes travaillant sur ce projet. Dans un contexte où l’affiche de festival doit aussi soutenir un écosystème d’affichage urbain, de communication digitale, de merchandising, ce positionnement haut-de-gamme surprend : un festival de musique investit le territoire du luxe non pas en décor mais en matériau.

L’intérêt pour la communauté design est double. D’une part, on assiste à la valorisation de l’objet imprimé dans un univers où tout tend vers le digital. Le choix du velours brodé est un signe fort : l’affiche n’est plus seulement un plan visuel, mais un objet tactile, interactionnel, qui incarne la valeur du geste. D’autre part, l’usage de matériaux recyclés marque une alliance entre le spectacle visuel et la responsabilité : Germanier transforme les chutes de création en activation visuelle. Il intègre ainsi le discours environnemental directement dans la matière, ce qui correspond à une mutation majeure du luxe contemporain vers le durable.

Mais cette démarche soulève également des enjeux : comment faire coexister l’objet d’art imprimé — fragile, coûteux, riche — avec la massivité de la diffusion visuelle d’un festival qui se déroule aussi dans des lieux urbains, des médias numériques, des supports variés ? Le défi sera de traduire cette matérialité sans la diluer, de faire vivre la texture dans une version digitale. Le Montreux Jazz Festival devra sans doute décliner cette broderie visuelle dans des formats plus légers, moins physiques, tout en préservant cette singularité qui fait le pari du luxe.

© Henry Lamine Diagne

Enfin, le choix de Germanier inscrit le festival dans une tradition de collaboration entre design visuel — affiches iconiques de Tinguely, Haring, Warhol — et artistes plus inattendus. Cette affiche est plus qu’un visuel : c’est une déclaration. Elle affirme que l’affiche d’un festival peut être aussi bien un objet de mode, une sculpture textile, une pièce d’art contemporain, qu’un simple panneau d’affichage. Si le visuel raconte la musique de manière figurative, Germanier raconte encore autre chose : la vibration, la texture, le geste. Et cela fait sens pour un festival qui fête ses 60 ans.

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