Formation, statut, regard : que vaut (encore) le diplôme dans le design graphique ? Peut-on être un·e “vrai·e” designer sans avoir fait d’école ?
À l’heure où de nombreux designers se forment en dehors des écoles, la question de la légitimité revient avec insistance : peut-on être reconnu·e dans le métier sans diplôme ? Et que vaut vraiment une formation académique face à la pratique, aux outils, aux réseaux ou à l’expérience de terrain ? Un article pour réfléchir à ce qui fonde, aujourd’hui, la crédibilité d’un·e designer graphique.
Dans le milieu du design graphique, la question divise.
À une époque où tutos, bootcamps, logiciels no-code et IA génératives promettent de “devenir designer en 30 jours”, que vaut encore une formation longue, théorique, parfois coûteuse ?
Et surtout : est-il possible d’être un·e designer crédible, reconnu·e, efficace — sans jamais être passé·e par une école ?
Derrière cette interrogation, se loge une autre, plus souterraine : qu’est-ce qui fait d’un individu un·e designer légitime ? Une maîtrise technique ? Un regard ? Une posture critique ? Une validation institutionnelle ? Une capacité à facturer ?
L’école comme socle (mais pas comme garant)
Il serait malhonnête de nier ce que permet une bonne école :
un temps d’exploration, un espace de confrontation, des références solides, une culture visuelle élargie, des échanges constants avec d’autres pratiques, des workshops, des critiques de projets.
C’est aussi souvent un accélérateur de réseau : on y rencontre des DA, des agences, des éditeurs, des ancien·nes diplômé·es qui peuvent jouer un rôle clé dans les premiers contrats.
Mais toutes les écoles ne se valent pas. Et tous les étudiant·es n’en tirent pas la même chose.
Faire une école de design ne garantit pas qu’on soit designer.
Tout comme ne pas en faire ne signifie pas qu’on n’a rien à dire, ni rien à apporter.
L’autoformation : possible, mais exigeante
Apprendre seul·e est non seulement possible, mais fréquent.
De nombreux graphistes et DA aujourd’hui reconnus n’ont pas suivi de parcours académique formel.
Le design reste un domaine où l’on peut construire une compétence par la pratique, l’observation, la lecture, la copie, la commande. Les ressources sont nombreuses, souvent gratuites, ouvertes (archives, typothèques, plateformes critiques, etc.).
Mais cela demande une discipline forte, une curiosité active, et souvent un temps plus long.
Car apprendre à utiliser Illustrator n’est pas la même chose qu’apprendre à articuler une réponse graphique à un contexte donné.
“Le plus dur quand on apprend seul, c’est de savoir quoi regarder. Et surtout, comment se situer dans tout ce qu’on voit.” — Designer autodidacte, 28 ans
Ce qui ne s’apprend pas en ligne
Une école ne forme pas qu’à un métier. Elle forme à une culture du doute, de la discussion, de la critique, qu’il est plus difficile à construire seul·e.
Dans un cours d’histoire du design, dans une salle d’impression, dans un débat avec un enseignant, on apprend à formuler son propre regard. À justifier ses choix. À encaisser un retour dur. À déconstruire une première intuition trop facile.
Autant de choses qui ne se trouvent pas dans un tutoriel technique.
Mais est-ce indispensable ?
Pas toujours.
De nombreux designers formés en école avouent n’avoir pris conscience de leur posture qu’après leurs études. D’autres expliquent avoir plus appris “sur le tas”, en agence ou en freelance, qu’en cinq ans d’atelier.
La légitimité : une construction, pas une étiquette
Le vrai débat n’est peut-être pas “école ou pas école”, mais sur quoi repose la légitimité d’un·e designer aujourd’hui.
Est-ce sa capacité à manier des outils ? À formuler une vision ? À comprendre un contexte ? À convaincre un client ?
Est-ce sa reconnaissance par ses pairs ? Par un jury ? Par des likes ? Par une capacité à transmettre ?
Dans les faits, les parcours hybrides se multiplient.
On voit des profils venus de la sociologie, de l’architecture, du cinéma, de l’activisme, s’impliquer dans des pratiques visuelles — parfois plus puissantes, plus situées, plus engagées que celles de designers “formé·es”.
Et inversement, des diplômé·es brillants sur le papier peuvent passer à côté de l’essentiel : trouver leur place, dire quelque chose de singulier, penser à partir de là où ils ou elles sont.
Vers un design à plusieurs vitesses ?
Le risque, derrière cette question, c’est la construction d’un design à deux vitesses :
– d’un côté, des profils parfaitement calibrés, sortis d’écoles prestigieuses, visibles, capables de parler la langue des studios internationaux ;
– de l’autre, des profils plus fragiles, moins reconnus, souvent plus inventifs, mais relégués à des marges.
À l’heure où les logiques de production se déplacent, où les outils s’ouvrent, où la culture graphique se diffuse largement, il est peut-être temps de penser autrement.
Non pas en opposant autodidactes et diplômé·es, mais en s’interrogeant :
Que produit-on ? Pour qui ? Avec quels moyens ? Dans quel écosystème ? Et pourquoi ?
Un·e “vrai·e” designer ne se définit pas par son diplôme, mais par sa capacité à penser, construire, et transmettre des formes en dialogue avec le monde.
La reconnaissance professionnelle passe par la cohérence, l’exigence, et le sens — pas par un badge.
L’école peut en être le point de départ. Mais jamais l’aboutissement.