Methaphone : un faux smartphone pour se désintoxiquer du vrai
Un bloc d’acrylique. Zéro notification. Et si la désintox numérique passait par le design d’un objet vide ?
Dans une époque où nos gestes précèdent même nos pensées – main dans la poche, écran vérifié sans raison, feed compulsif – il fallait bien qu’un designer détourne le réflexe. Avec le Methaphone, Eric Antonow propose un objet simple, presque absurde : un faux smartphone. Taillé dans un bloc d’acrylique transparent de 15 cm, ce rectangle aux coins arrondis ne vibre pas, ne sonne pas, n’affiche rien. Mais il remplit une fonction : remplacer le geste.
Un objet entre farce, critique et design comportemental
L’histoire commence comme une blague. Ex-marketeur passé par Facebook et Google, Eric Antonow invente ce “téléphone de méthadone” en écho à la dépendance numérique croissante. Son objectif : créer un leurre tactile, un objet de substitution qui mime la forme du téléphone sans en reproduire les effets.
Mais c’est une utilisatrice de TikTok, Catherine Goetze (@askcatgpt), qui va involontairement en faire un phénomène mondial. Filmée dans une file d’attente à San Francisco, elle manipule le Methaphone comme un véritable téléphone, dans un geste aussi banal que révélateur. Sa vidéo atteint plus de 53 millions de vues en quelques jours. L’objet devient viral, largement relayé sur Instagram et X.
En quelques jours, le prototype se transforme en produit. Une campagne Indiegogo, un prix d’appel à 25 $, une chaîne de production artisanale… et voilà le Methaphone en vente. Résultat : des milliers d’unités vendues, un phénomène social, et une question lancinante : pourquoi ça marche ?

Le smartphone, ce geste devenu réflexe
Loin d’être un gadget, la Methaphone s’inscrit dans une série d’objets et d’outils pensés pour contrer l’addiction au numérique : poches verrouillables, applications de blocage, « dumb phones » sans connexion… Mais là où ces alternatives misent sur la privation, la Methaphone mise sur la substitution gestuelle.
L’objet ne vous empêche pas de sortir votre téléphone — il vous donne un autre téléphone à sortir. Il intercepte le geste automatique. Il crée une friction, une prise de conscience. À mi-chemin entre placebo comportemental et critique tangible du numérique, il s’apparente aux outils de sevrage : une cigarette sans nicotine, un verre vide pour arrêter de boire.
Design et dépendance : la responsabilité des formes
Derrière ce bloc d’acrylique, une interpellation : et si nos objets étaient les complices de nos dépendances ?
On le sait désormais : les smartphones sont conçus pour capturer notre attention, en activant les circuits dopaminergiques du cerveau. Notifications, scroll infini, feedback aléatoire : autant de mécaniques issues du design UX, pensées pour maintenir l’utilisateur captif.
Antonow, avec la Methaphone, retourne ce principe : créer un objet au design inversé, désenchanté, déconnecté — et justement pour cela, libérateur. Un manifeste plastique qui interroge nos conditionnements.
Entre art conceptuel et auto-dérision
L’objet évoque les ready-made de Duchamp, mais version Silicon Valley. Il pourrait trôner dans une galerie de design critique, au même titre qu’un Phone Jail de Matteo Bandi ou une Internet Addiction Suit. Mais il se vend sur Internet. Il est populaire. Et il est utilisé.
On le garde dans sa poche. On le saisit en réunion. On le sort au café. Et on réalise, peu à peu, qu’on n’en a pas besoin. Qu’il ne se passe rien. Et que c’est précisément cela, le but.

Ce que dit le Methaphone du futur du design
La Methaphone n’est pas un produit de santé. Ce n’est pas une solution miracle. C’est un signal faible, mais révélateur : les objets de demain ne seront peut-être pas plus connectés, mais plus critiques.
Dans un monde saturé de sollicitations, le design aura peut-être pour rôle de ralentir, détourner, désactiver. D’encourager des usages sobres, réflexifs, libérateurs.
Et si ce bloc transparent, inutile et silencieux était finalement un des objets les plus radicaux de 2025 ?
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