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jeudi 2 octobre 2025
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Matières vivantes : le design graphique devient organique


Le graphisme s’est longtemps pensé à travers le papier, puis s’est engouffré dans l’écran. Aujourd’hui, une autre voie se dessine, inattendue : celle des supports vivants. Feuilles, racines, champignons, algues ou textiles cultivés deviennent des terrains d’expérimentation pour de jeunes studios et des laboratoires hybrides. Entre manifeste écologique et exploration esthétique, ces pratiques ouvrent une réflexion nouvelle : et si le design visuel n’était pas destiné à durer, mais à se transformer, se décomposer, disparaître ?

Le végétal comme surface sensible

Imprimer une affiche sur une feuille de bananier ou cultiver des motifs typographiques directement dans un champ de racines : ces gestes ne relèvent plus de la fiction. La designer Diana Scherer, basée à Amsterdam, a développé une technique baptisée Plant Root Weaving. Dans des moules spécialement conçus, elle guide la croissance des racines pour former des motifs textiles naturels, véritables dentelles vivantes. Présentés dans des musées et des expositions de design, ces travaux brouillent la frontière entre art, horticulture et graphisme expérimental.

Dans un registre plus éphémère, plusieurs festivals culturels se sont essayés aux encres biodégradables. À Berlin ou à Lyon, certaines affiches sont imprimées à partir de pigments issus d’algues ou de betteraves, perdant progressivement leurs couleurs au soleil et à la pluie. L’objet graphique devient alors un signal temporel : il vit avec l’événement, puis s’efface.

Quand le design disparaît volontairement

À rebours de l’obsession pour la conservation, ces expérimentations assument l’idée de l’impermanence. Certaines affiches sont conçues pour être comestibles, imprimées sur du papier de riz avec des encres alimentaires. À Madrid, lors du festival culinaire Madrid Fusión, des supports de communication ont pu littéralement être mangés, brouillant les repères entre communication, performance et gastronomie.

Dans l’espace urbain, d’autres choisissent la croissance végétale comme médium. À Rotterdam, des lettrages de mousse se développent directement sur les murs de bâtiments, formant des signalétiques vivantes qui évoluent avec les saisons. Plus qu’un logo, c’est un organisme en mouvement.

La rencontre entre science et graphisme

Ces projets ne se limitent pas à des gestes poétiques. Ils révèlent l’émergence d’une scène où designers, biologistes et ingénieurs travaillent ensemble. Le Growing Pavilion, présenté à la Dutch Design Week, a été intégralement construit en mycélium, une matière issue des champignons. Au-delà de l’architecture, le projet proposait aussi une signalétique et une identité visuelle inscrites dans cette matière organique, démontrant que le graphisme pouvait se penser au cœur de la matière vivante.

Les encres d’algues développées par la start-up américaine Living Ink Technologies ou les pigments fluorescents issus de bactéries illustrent cette hybridation : la biologie devient une palette de couleurs. La question écologique est ici centrale : ces encres remplacent des produits chimiques polluants, tout en générant des effets visuels inédits.

Le manifeste écologique du design éphémère

Ces pratiques ne cherchent pas à rivaliser avec les standards industriels en termes de durabilité. Elles interrogent au contraire le sens de cette durabilité : faut-il vraiment que chaque affiche, chaque logo, chaque typographie survive des décennies ? Le graphisme peut aussi s’assumer comme une expérience passagère, qui vit dans un temps donné, puis retourne à la terre.

Ce basculement est d’autant plus fort qu’il s’inscrit dans une époque marquée par l’urgence climatique et la surproduction matérielle. Utiliser des encres comestibles ou cultiver des textiles racinaires devient une manière de dire : le design aussi peut ralentir, s’ancrer dans le vivant, assumer l’éphémère comme valeur.

Une esthétique en devenir

Il est trop tôt pour savoir si ces expérimentations trouveront une place pérenne dans le champ professionnel. Mais elles révèlent une tendance : le design graphique n’est plus condamné au pixel et au papier. Il peut devenir racine, champignon, algue ou mousse. Il peut changer de cycle, se transformer avec la lumière, la pluie, la saison.

Dans ce geste, il rejoint peut-être ce qui a toujours été sa fonction première : donner à voir, mais aussi donner à penser.

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