Il y a trois ans, la promesse était partout : le métavers allait devenir le nouvel eldorado des créatifs. Studios de design, agences de communication et grandes marques se précipitaient pour ouvrir des bureaux virtuels, organiser des défilés dans des mondes en 3D et inventer une économie des identités immersives. Aujourd’hui, alors que l’euphorie semble retombée, la question demeure : s’agit-il d’un terrain de carrière durable pour les designers ou d’une bulle marketing en train de s’évaporer ?
Un nouvel espace de travail pour les créatifs
Le métavers a d’abord séduit par son potentiel : créer des environnements graphiques où l’identité visuelle n’est plus une image figée, mais une expérience totale. Des studios comme BUCK ou Journee ont conçu des espaces immersifs pour de grandes marques de mode, permettant à des visiteurs d’interagir en direct avec un logo, une typographie, une scénographie virtuelle. Pour certains graphistes 3D, c’était l’occasion rêvée d’élargir leurs compétences vers l’architecture numérique, le motion design et l’expérience utilisateur.
La pandémie de 2020 a accéléré ce mouvement : confinés, des designers ont trouvé dans ces univers une scène alternative. Certains y ont ouvert des galeries virtuelles, d’autres des showrooms. De nouvelles missions sont apparues : créer des avatars, penser des interfaces immersives, inventer des objets purement digitaux mais vendus comme des biens exclusifs.
Quand l’enthousiasme se heurte au réel
Pourtant, derrière l’effervescence, les limites sont vite apparues. Beaucoup de projets de métavers lancés par des marques ont eu une durée de vie courte, parfois quelques semaines, le temps d’une campagne de communication. Des studios ayant investi massivement dans des compétences VR et 3D se sont retrouvés face à une demande irrégulière.
Les utilisateurs, eux, n’ont pas suivi au rythme espéré. Si les designers y ont vu un terrain d’expérimentation, le grand public n’a pas adopté ces environnements comme de nouveaux réseaux sociaux quotidiens. Résultat : les opportunités professionnelles se sont avérées précaires, dépendant d’appels d’offres ponctuels plutôt que de besoins structurels.
Une compétence de niche ou un laboratoire d’avenir ?
Reste une question cruciale : faut-il se former aujourd’hui pour travailler dans le métavers ? La réponse est nuancée. Pour les spécialistes de la 3D et de l’interaction immersive, il s’agit d’un atout de niche : les marques continuent à tester des expériences ponctuelles, souvent dans la mode, l’art contemporain ou le luxe. Mais il serait illusoire de penser que ce terrain deviendra un débouché massif pour tous les graphistes.
En revanche, l’expérience accumulée par les studios pionniers n’est pas perdue. Elle irrigue déjà d’autres champs : la réalité augmentée appliquée aux interfaces mobiles, les jumeaux numériques dans l’industrie, les environnements immersifs pour la formation. Autant de terrains où le savoir-faire graphique acquis dans le métavers se transforme en valeur durable.
Mirage ou opportunité ?
Au fond, le métavers révèle une tension récurrente dans le design : entre les promesses technologiques et la réalité des usages. Comme le CD-ROM multimédia dans les années 1990 ou les NFT en 2021, il aura peut-être servi surtout de laboratoire. Les designers qui s’y sont aventurés en tirent une maîtrise précieuse des outils immersifs, mais la carrière de demain ne se construira probablement pas uniquement dans ces mondes virtuels.
Plutôt qu’un mirage, le métavers restera peut-être une parenthèse fertile, une zone expérimentale qui aura permis de repenser ce que peut être une identité visuelle quand elle devient espace, interaction et expérience.