Parfois, une image ne se regarde plus. Elle se consomme. Elle défile. Elle clignote.
À l’heure des carrousels en rafale, des typographies surchargées, des grilles d’Insta remplies jusqu’à l’étouffement, le design graphique semble avoir adopté une esthétique de l’excès. Trop de bruit, trop de couches, trop de « regarde-moi ». Mais dans ce trop-plein visuel, que reste-t-il de l’image comme langage ? Comme construction de sens ? Comme respiration ?
Le chaos comme tendance
Depuis quelques années, une esthétique saturée a gagné du terrain. C’est l’ère des type posters aux dix polices, des effets glitch omniprésents, des compositions éclatées, des palettes ultra-contrastées. Cette surcharge est partout : sur les flyers de clubs berlinois, les pochettes SoundCloud, les projets étudiants en design graphique, les publications virales à vocation “arty”.
À première vue, ce style semble libérateur : finies les grilles suisses, les compositions rigides, le diktat du « less is more ». L’image devient terrain de jeu, d’explosion même. Chaque centimètre est occupé. Chaque coin dit quelque chose.
Mais à trop vouloir dire, ne finit-on pas par ne plus rien dire du tout ?
Le symptôme d’un rapport anxieux à l’attention
Cette ultra-saturation visuelle n’est pas qu’une mode : elle traduit aussi une angoisse contemporaine de l’effacement. Il faut capter l’attention, coûte que coûte. Être vu. Être scrollé. Être enregistré, au moins une fraction de seconde.
Le design graphique devient parfois une compétition de stimuli.
Ce phénomène n’est pas sans rappeler la logique des interfaces de réseaux sociaux : sur-stimulation visuelle, rapidité d’exposition, pression de performance visuelle. Le design reprend ces codes pour mieux s’y adapter… mais au risque de s’y fondre.
Surcharge et superficialité : la perte du message
Quand tout clignote, que retient-on ?
Quand une affiche use de toutes les couleurs, toutes les typos, tous les effets de transparence, que reste-t-il du propos ? Du ton ? Du rythme ?
Dans un monde saturé d’images, la lisibilité devient un luxe. Le silence graphique, un geste fort.
Il ne s’agit pas de rejeter la profusion, mais de la penser. Un design surchargé peut être signifiant, provocateur, dense. Mais quand la saturation devient automatique, décorative, ou pire, mimétique (faire “comme vu ailleurs”), elle devient une forme de bruit visuel sans intention.
Vers une écologie de l’image ?
Certain·es designers revendiquent aujourd’hui une autre voie : le ralentissement, l’épure, la pause. Non pas par nostalgie du fonctionnalisme, mais pour redonner du poids à l’image, au texte, à la mise en page comme articulation du sens.
Cette approche pourrait ressembler à une écologie graphique : une attention à ce que l’on montre, à ce que l’on cache, au vide comme outil de narration. Comme le dit si bien Bruno Latour : « le design est une manière de redonner de l’attention aux choses invisibles. »

L’image doit-elle toujours séduire ?
Peut-être qu’il est temps de sortir de l’injonction à plaire, à taper dans l’œil, à frapper vite et fort.
Peut-être qu’un bon design, aujourd’hui, est celui qui s’autorise à ne pas séduire immédiatement. Celui qui laisse place à une lecture lente, à un regard qui revient.
Le design graphique ne devrait pas seulement répondre aux réflexes algorithmiques. Il devrait aussi créer des contre-espaces visuels — où l’on respire, où l’on pense, où l’on regarde pour de vrai.
Et si, parfois, le plus radical n’était pas d’en mettre plein la vue… mais de savoir quand s’arrêter ?