Valoriser la phase amont d’un projet graphique : méthode, posture, témoignages
Introduction
Dans de nombreux projets de design graphique, l’essentiel ne se joue pas dans les logiciels, mais bien en amont : lors des premiers échanges, des recherches, des hypothèses. Pourtant, cette phase – celle de la réflexion stratégique, du conseil, de l’analyse – reste souvent invisible… et rarement rémunérée.
Graphistes, directeurs artistiques, studios : nombreux sont celles et ceux qui passent du temps à creuser les besoins d’un client, à analyser son positionnement ou à construire un brief… sans jamais oser le facturer.
Et si cette posture évoluait ?
Et si le conseil devenait une ligne claire de votre grille tarifaire ?
Ce que recouvre la “phase conseil” dans un projet graphique
Elle commence souvent bien avant la première esquisse. Elle peut inclure :
- l’analyse du contexte (marché, concurrence, tonalité existante)
- la reformulation du besoin (et parfois sa redéfinition complète)
- la veille iconographique ou typographique
- le benchmark de projets similaires
- la clarification des cibles
- la structuration du message
- la recommandation de formats, de canaux, ou de priorités visuelles
Autant d’étapes que le client ne voit pas toujours… mais dont il bénéficie directement.
Cette phase mobilise des compétences spécifiques : capacité d’écoute, synthèse, vision stratégique, culture du secteur. Elle mérite donc d’être considérée – et valorisée – comme une prestation à part entière.
Pourquoi cette étape est trop souvent “offerte”
Plusieurs raisons expliquent pourquoi la partie conseil est souvent sous-facturée ou absorbée :
- Le réflexe du tout-compris : le design est vu (à tort) comme un bloc indivisible.
- La peur d’effrayer le client : ajouter une ligne “recherche et conseil” peut sembler risqué si le client attend juste un visuel.
- Le manque de clarté sur son propre processus : difficile de vendre ce qu’on ne sait pas nommer.
- La comparaison avec les métiers voisins : les développeurs ou les imprimeurs facturent à l’acte. Le graphiste, lui, semble vendre de l’“idée”, donc quelque chose de flou.
Mais ne pas facturer le conseil, c’est aussi prendre le risque d’être réduit à un exécutant, alors même que votre valeur repose en grande partie sur votre regard, votre recul, votre capacité à structurer une réponse visuelle cohérente.
Comment facturer la phase de conseil de manière claire
1. L’intégrer comme une ligne distincte dans le devis
Exemple :
- Phase 1 : Accompagnement stratégique / Analyse du besoin / Benchmark → 600 € HT
- Phase 2 : Création graphique
- Phase 3 : Déclinaisons et livraison
2. La rendre visible dans le déroulé du projet
Même si elle est forfaitaire, la phase conseil peut être découpée :
– 1er RDV de cadrage (oral ou écrit)
– Document de synthèse / moodboard / intention
– Recommandation de formats ou d’axes graphiques
3. La défendre dans le discours commercial
Par exemple :
“Avant de créer une identité visuelle, il est essentiel de poser les bases stratégiques : positionnement, cibles, concurrence. Cela fait l’objet d’une première phase que je structure et facture à part.”
Plus cette étape est expliquée, plus elle est perçue comme professionnelle.
Cas concrets : studios et graphistes qui ont sauté le pas
Studio I. (design éditorial & culturel)
“On avait l’habitude d’envoyer des moodboards sans trop y penser. Désormais, on les facture sous forme de ‘note d’orientation visuelle’. Cela nous a permis de cadrer davantage les attentes, et surtout de valoriser cette étape de réflexion.”
Justine P., graphiste indépendante
“J’ai arrêté de faire des recherches préliminaires ‘gratuites’. Aujourd’hui, chaque accompagnement démarre par une ‘étude du contexte graphique’ : 400 € HT. Le client comprend mieux le temps passé, et moi je travaille plus sereinement.”
Collectif
“Sur les projets institutionnels, la partie conseil est systématiquement intégrée. On l’assume comme une phase 1 obligatoire. Cela renforce notre posture de partenaire, pas de prestataire silencieux.”
Ces retours montrent qu’il est possible de créer une culture du conseil graphique, même auprès de clients peu habitués. Cela nécessite clarté, constance… et un peu de pédagogie.
Quelques formats concrets à proposer
- Audit visuel : analyse de l’existant (site, charte, supports imprimés), avec une grille critique.
- Moodboard commenté : 3 axes visuels potentiels, avec justification.
- Note stratégique : document synthétique (2 à 4 pages) posant les bases du projet.
- Atelier de cadrage : session de 2h à distance ou en présentiel, avec restitution.
- Feuille de route : proposition de plan d’action en phases.
Tous ces formats peuvent être facturés entre 300 et 1200 € selon la complexité, la taille du client et le périmètre.
–> Facturer le conseil, ce n’est pas “rajouter une ligne”. C’est reconnaître que le design graphique commence bien avant les logiciels. C’est valoriser le travail de décodage, de synthèse, d’anticipation qui structure toute réponse visuelle cohérente.
En rendant visible cette phase amont, vous renforcez votre légitimité, clarifiez vos échanges et construisez une relation plus équilibrée avec vos clients.
Car un bon visuel, sans bon cadrage, reste une façade.
Le conseil, lui, est la fondation du projet.