Entre moqueries, défense du métier et réflexes de classe, retour sur une panne révélatrice.
Hier, une panne mondiale de Canva a brièvement interrompu l’usage de la célèbre plateforme de création graphique. Un incident technique banal ? Pas tout à fait. Très vite, les réseaux sociaux se sont remplis de réactions moqueuses. De nombreux graphistes professionnels ont saisi l’occasion pour rappeler, non sans ironie, que « le design ne se fait pas avec des templates » ou encore que « maintenant, on va voir qui sait vraiment aligner du texte ».
Ces critiques s’inscrivent dans une logique connue : la crainte de la banalisation du design, de sa dilution dans des outils standardisés, accessibles à tous, parfois au détriment de la réflexion, du regard, du métier. Depuis sa création, Canva cristallise une forme d’angoisse statutaire. Outil de pouvoir pour les communicants pressés, solution miracle pour les micro-entrepreneurs, plateforme d’apprentissage pour les débutants, Canva est devenu un symbole : celui d’un design déprolétarisé, sans DA, sans graphiste, sans école.
Mais derrière la raillerie, quelque chose se rejoue. L’incident met en lumière une tension réelle dans la profession : comment affirmer une expertise dans un monde où chacun peut créer un logo, une affiche ou une identité visuelle « en deux clics » ? Comment différencier le geste graphique, la pensée visuelle, de la simple exécution dans un gabarit ?
Certains commentaires en ligne allaient jusqu’à sous-entendre qu’un utilisateur de Canva ne saurait être un “vrai créatif”. Une réaction qui flirte avec le mépris de classe, et que beaucoup, y compris des designers confirmés, ont dénoncée. Car la frontière entre amateur et professionnel ne se joue pas dans l’outil, mais dans la manière de penser et de concevoir. Ce que démontre aussi la montée des pratiques hybrides, où des DA utilisent Canva pour des clients à petit budget, pour des itérations rapides ou des livrables sociaux.
Derrière cette panne, donc, un révélateur. Un moment de vérité dans un paysage graphique bouleversé par les plateformes, l’IA générative, les modèles gratuits, les templates et les API. Un monde où le design doit se défendre moins par sa rareté que par sa pertinence.
Et si au lieu de se moquer, on en profitait pour rappeler ce qu’est un bon design : pas un outil, mais un regard.