En design graphique, on ne vend ni une idée, ni un fichier. On vend un droit d’usage encadré. Pourtant, la majorité des freelances ignorent ce que couvre vraiment leur devis.
Résultat : confusions juridiques, créations surexploitées, et perte de revenus. Voici une remise à plat dense et concrète de vos droits — et de vos leviers.
Le droit d’auteur vous protège. Automatiquement.
En France, toute création originale bénéficie automatiquement du droit d’auteur dès sa fixation (esquisse, fichier, croquis).
Vous restez propriétaire de votre création, sauf si vous cédez explicitement des droits d’exploitation.
Le droit d’auteur comprend :
- Droit moral : inaliénable, perpétuel. Vous êtes l’auteur, à vie. Non cessible.
- Droits patrimoniaux : cessibles via contrat ou clause. Ce sont eux qu’on négocie.
⚠️ Livrer un visuel sans clause, c’est ne rien céder. Le client n’a donc aucun droit d’exploitation formel (même s’il l’utilise quand même…).
Céder ses droits : 3 critères légaux obligatoires
Une cession de droits n’est valable que si elle précise :
Élément | Exemples |
---|---|
Supports | Affichage, print, web, RS, TV, PLV, packaging… |
Durée | 1 an, 3 ans, 10 ans, illimitée |
Territoire | France, Europe, monde |
Une cession vague type “tout support, pour toujours” sans majoration tarifaire est nulle juridiquement (article L131-3 CPI).
Concrètement, que vend-on ?
On ne vend pas un fichier Illustrator.
On vend le droit de l’exploiter dans un certain cadre.
Exemple : Vous créez une affiche pour un théâtre
- 1 version (fichier) = 1 création protégée
- Le théâtre veut l’utiliser pour :
- l’impression (300 exemplaires, A2)
- sa communication web (site + RS)
- pendant 6 mois
➡️ Vous cédez donc ces droits et rien d’autre.
S’il veut ensuite l’imprimer sur tote bags → nouvelle cession, nouveau tarif.
Comment chiffrer une cession ?
La cession se facture en plus de la création, comme une redevance d’exploitation.
Méthodes :
- Forfaitaire : vous définissez un tarif pour un pack clair (ex. : web + print France, 3 ans → +20 %)
- Barème SCAM/SAIF/ADA (indicatif)
- Majoration progressive selon extension :
- Durée ×1,5
- Territoire ×1,3
- Nouveaux supports ×2
Astuce : créez une grille modulaire à proposer à vos clients (mini → complète → exclusive).
Face à un client qui veut « tout »
C’est courant. Une entreprise dit :
« On veut tous les droits, pour tous les usages, à vie. »
Réponse possible :
D’accord. Il s’agit alors d’une cession exclusive, tous supports, tous territoires, durée illimitée. Le tarif est donc ajusté en conséquence.
Ne refusez pas par principe. Encadrez. Et facturez.
⚠️ Toute cession exclusive sans limite de durée + de territoire = équivalent à une vente de brevet.
Modèle de clause à insérer dans vos devis
Cession partielle (recommandée)
La présente cession comprend les droits d’exploitation de la création graphique sur les supports suivants : site internet, réseaux sociaux, flyers (tirage 2000 ex), pour une durée de 36 mois, et pour le territoire français uniquement. Toute extension fera l’objet d’un avenant tarifé.
Cession exclusive totale (à majorer lourdement)
La présente cession porte sur l’ensemble des droits patrimoniaux afférents à la création, pour tous supports connus et à venir, pour une durée illimitée, sur l’ensemble des territoires. Le droit moral est conservé.
Et les pistes refusées ?
Même si non utilisées, elles restent protégées.
Le client ne peut pas les réutiliser plus tard sans rachat de droits.
Clause à ajouter :
“Les propositions non retenues restent la propriété exclusive du designer, et ne peuvent être réutilisées, modifiées ou diffusées sans accord écrit.”
Et si je ne mets rien dans le devis ?
C’est le cas le plus fréquent. Le designer livre un fichier. Le client l’utilise… sans contrat clair.
En cas de litige, le designer reste juridiquement protégé.
Mais l’absence de clause empêche de prouver la portée de la cession. Et rend la facturation future plus complexe.
Mieux vaut un devis mal rédigé qu’aucune mention du tout.
En résumé
Vous livrez… | Vous cédez… |
---|---|
Un fichier PDF, EPS, etc. | Un droit d’usage limité |
Une idée / concept | Rien sans formalisation |
Un logo | Un droit d’exploiter le logo dans un cadre donné |
Le client n’achète pas votre création. Il achète un droit de l’exploiter dans certaines conditions.

Tableau récapitulatif – Cession de droits pour designers freelances
Élément | Ce que ça signifie | Obligatoire dans un devis/contrat | Ce qu’il faut faire |
---|---|---|---|
Droit d’auteur | Protection automatique de toute œuvre originale | ✘ (automatique) | Comprendre que vous êtes propriétaire par défaut |
Droit moral | Inaliénable, perpétuel, non cessible | ✘ | Toujours précisé : l’auteur reste crédité |
Droits patrimoniaux | Droit d’exploiter la création dans un cadre défini | ✔ | Doivent être cédés explicitement (via clause) |
Supports d’exploitation | Où la création est utilisée (web, print, pub…) | ✔ | Lister précisément les supports |
Durée de cession | Combien de temps le client peut utiliser la création | ✔ | Définir une durée (ex. : 1 an, 3 ans, illimité…) |
Territoire | Zone géographique de l’exploitation | ✔ | Ex. : France, Europe, monde |
Cession exclusive / non exclusive | Le client est-il seul à pouvoir l’utiliser ? | ✔ (si exclusive) | Mentionner explicitement le type de cession |
Pistes non retenues | Propositions non choisies par le client | ✔ (idéalement) | Ajouter une clause : restent la propriété du designer |
Réutilisation future | Extension ou nouvelle utilisation | ✔ | Préciser qu’elle nécessite un avenant tarifé |
Tarification de la cession | Montant ajouté au prix de création | ✔ (dans le devis) | Proposer une grille modulable ou forfaitaire |
Astuce freelance : Préparez un modèle de devis avec blocs de cession pré-rédigés, que vous adaptez selon chaque client.